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Lituanie2016
30 juillet 2016

Tchernobyl.

Article de Jeanne Cavelier du 24 avril 2016.

 

Trente ans après Tchernobyl, les survivants affrontent seuls le fantôme de la radioactivité Dans les zones contaminées en Ukraine, en Biélorussie et en Russie, quelque 5 millions de personnes vivent au péril de leur santé. Mais, le temps passant, les autorités économisent sur les mesures de protection et de dédommagement.


De notre envoyée spéciale dans la région de Novozybkov
« C’était un jour de chaleur, un vent très fort soufflait », se souvient Anna. Peu après l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl en Ukraine, le 26 avril 1986, le nuage radioactif a largué en masse ses particules dans les environs de Novozybkov, aux confins de la Russie voisine.
« Nous vivions normalement, nous sommes tous sortis pour le défilé du 1 mai, comme des idiots ! » s’exclame la survivante en colère. Les autorités soviétiques ont tardé à réagir. De l’iode a été distribué à la population, trop tard : « J’ai enchaîné les problèmes de santé. A 28 ans, on m’a diagnostiqué une cataracte. Il y a dix ans, j’ai ramassé des mûres : je n’avais pas d’argent et les médecins m’avaient conseillé d’en manger pour ma vue. J’ai eu la tête qui tourne, envie de
vomir. » Les radiations ne sont pas parties. Et trente ans après le pire accident nucléaire de l’histoire, toute la région en porte encore les stigmates. Des maisons en bois éventrées, le long d’une route cahoteuse : Svyatsk est un village fantôme. Cette zone d’évacuation, à environ 180 km de la centrale nucléaire, enregistre un niveau de radiation d’environ 2 microsieverts par heure (μSv/h) – la dose normale n’excède pas 0,2 μSv/h. Côté biélorusse, à 1 km de là, il faut un permis spécial pour y pénétrer. Côté russe, pas de barrière à l’entrée. En salopette, bandana jaune sur la tête, Viktor arrête son crossover devant le cimetière. Ses parents sont enterrés ici. Il vient souvent pour se reposer : « Seulement deux ou trois familles sont parties juste après la catastrophe. Personne ne voulait s’éloigner de ses racines et puis on ne savait pas ce que c’était, les radiations. » Sa famille a été évacuée en 1990, il avait 14 ans. La perte de son monde semble plus traumatisante encore que les risques pour sa
santé : « J’ai peur du cancer, tout le monde a peur. Mais je serais prêt à retourner vivre ici. » Quelques kilomètres plus loin, à Stary Vyshkov, également en zone d’évacuation, des enfants jouent à côté de leur école. Une maison a brûlé deux jours plus tôt. Avec les incendies, le risque est double ici : inhaler de la fumée et voir le vent transporter les isotopes radioactifs et contaminer
d’autres endroits. Les pompiers locaux sont mal équipés. « Ils ont perdu quarante minutes pour aller se ravitailler à Novozybkov, raconte Alexeï Kisselev, chargé de la radioprotection pour Greenpeace. Ils n’ont pas de matériel comme nous pour capter l’eau en profondeur et ne voulaient pas s’approcher du champ derrière car il y a une tourbière, extrêmement radioactive. ». Si les flammes avaient atteint cet endroit, il aurait été impossible de les éteindre et d’éviter l’exhumation de la radioactivité enfouie dans le sol. Communes déclassées. Le village voisin, Starye Bobovitchi, compte 900 habitants. Viktor Andréïevitch, 58 ans, ouvre la porte de son isba. A côté de la télévision à plein volume, l’ancien
ouvrier agricole passe en revue ses médicaments : « Toutes ces boîtes me coûtent 1400 roubles par mois » (environ 20 euros). Il sort un petit carnet rouge, son livret de retraite : 3941 roubles mensuels (50 euros) pour trente années de service dans le kolkhoze local. Ses revenus ne lui permettent pas d’acheter des produits « propres ». Les radiations dans son potager dépassent de trois fois la norme.
« Je sais que c’est dangereux, mais que faire ? marmonne le retraité. Et maintenant, l’Etat nous coupe nos avantages ! » Jusque-là officiellement zone d’évacuation, la commune, comme 600 autres, a été déclassée par le gouvernement en octobre, au prétexte d’une baisse des radiations. A la clé, la fin ou la baisse des compensations octroyées aux survivants et leurs familles : retraite anticipée, congés plus longs, allocations… Les militants de Greenpeace doutent que les services fédéraux aient vérifié la radioactivité sur le
terrain. Alexeï Kisselev passe son dosimètre derrière la bibliothèque – les bips de l’appareil s’emballent : « 96, 98, 104… En plein coeur du village ! Et après cela, ils affirment que l’on peut sans problème élever ses enfants. » La bibliothécaire, Natalia Koundik, élue locale, a envoyé à la Cour Suprême une requête contre le décret, avec une cinquantaine d’autres plaignants. « Nous avons essuyé un refus, une réponse très bureaucratique, s’énerve-t-elle. Ils nous laissent seuls,
avec notre pauvreté. » Les enfants en première ligne. Les autorités rognent aussi sur les programmes de prévention. Les couloirs de la polyclinique publique de la ville de Novozybkov sont bondés. Dans son modeste bureau, Viktor Khanaev rédige une ordonnance. « Ces médicaments sont gratuits selon la loi, souligne le chirurgien. Mais maintenant, mon patient doit se les procurer lui-même. »
Faute de financement, l’hôpital ne peut plus les fournir. « Difficile d’évaluer le nombre de maladies liées aux radiations, explique le médecin. Je dirais intuitivement que cela concerne environ le tiers de mes patients. » Celles-ci perturbent en particulier les intestins. Viktor Khanaev a récemment noté une hausse des cancers de la prostate : « Nous sommes plutôt bien équipés mais nous nous attendons à une dégradation de la situation, surtout avec la disparition de la visite médicale annuelle obligatoire » - donc des diagnostics précoces.
En 2011, un examen de la thyroïde mené auprès de plus de 90 000 habitants a décelé des altérations malignes chez un quart des participants, dont 20 % d’enfants. La région de Briansk (la grande ville la plus proche) compte quatre fois plus d’enfants handicapés que le reste de la Russie. Les aides financières aux jeunes mères vont être réduites. « Nous avons besoin de ces compensations, les enfants tombent constamment malades, explique Oksana Inachevskaya, coprésidente du Conseil des mères de Novozybkov. En plus, les salaires sont plus bas que dans le reste du pays, pour ceux qui arrivent à trouver un travail. L’accident a provoqué un désastre économique. Toutes les entreprises ont déménagé. »
Les jeunes sont plus sensibles aux radiations que les adultes. Créé l’an dernier, le Conseil des mères de Novozybkov a obtenu le report de la loi 388-F3 passée en décembre dernier – six mois de répit. Selon ce texte, les mères de la zone recevront une allocation réduite, parfois d’un quart, versée jusqu’aux 18 mois de leur enfant, au lieu de ses 3 ans actuellement. « Or, nous avons besoin de ces compensations, ils tombent constamment malades, explique Oksana Inachevskaya, coprésidente du mouvement. En plus, les salaires sont plus bas que dans le reste du pays, pour ceux qui arrivent à trouver un travail. L’accident a provoqué un désastre économique. Toutes les entreprises ont déménagé. »
Exportations de poulet. La région prospérait autrefois dans l’agriculture. Certains habitants voient derrière la « normalisation » forcée des territoires contaminés le lobbying de l’entreprise agroalimentaire Miratorg. La holding a récemment obtenu une certification pour exporter vers l’Union européenne ses poulets produits localement, dans des zones non touchées. Près d’1,6 million de Russes vivent dans des secteurs officiellement pollués. Si le nettoyage, comme l’asphaltage des routes, a largement atténué les niveaux de radiation en ville, les résultats sont plus aléatoires en zone rurale. « Personne ne les sent, ne les voit, alors beaucoup se sont habitués et sont moins vigilants », se désole Lioudmila Komogortseva, écologue et députée du parlement régional (Russie Juste). Le césium-137 et le strontium-90 la préoccupent particulièrement.
Ces radionucléides passent dans la chaîne alimentaire et s’accumulent dans le corps humain. Ils s’élimineront naturellement… dans plusieurs siècles. « Aujourd’hui, le plus dangereux n’est pas de se balader en forêt, mais de manger des aliments radioactifs, confirme Anton Korsakov, biologiste. La viande sauvage, les baies, les champignons ont des niveaux de radiation des milliers de
fois plus élevés que la norme autorisée. » Sur 13 échantillons de champignons prélevés à l’automne par Greenpeace chez des habitants, tous dépassaient la limite sanitaire officielle. Mais rares sont les panneaux informant du danger. Dans la forêt de Zlynka, il faut s’écarter de la voirie pour découvrir un poteau précisant en petits caractères la contamination au césium-137. Pourtant, une tonnelle est installée pour pique-niquer. « Le printemps arrive, le monde va revenir, assure Nikolaï Makarenko, garde forestier retraité, en veste de treillis. Moi je ramasse des champignons. Même les Biélorusses viennent ici, parce que de leur côté, ils risquent une amende. » Un peu plus loin, certains ont placé des bouteilles en plastique au pied des bouleaux, pour recueillir leur sève, réputée riche en vitamines. Ils s’empoisonnent. La population utilise aussi le bois contaminé pour se chauffer ou construire des maisons. « Si les gens connaissaient sa teneur en radionucléides, ils y réfléchiraient à deux fois, affirme Alexandre Govorovsky, juriste forestier. Cette opacité est due au manque de volonté de certaines organisations… Les exploitants de forêt ont beaucoup d’argent à perdre. » L’an dernier, il a vu fleurir les barrières et panneaux signalant la radioactivité, pour la visite d’une délégation de Moscou. Après le départ des officiels, la plupart ont été retirés. 

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